L'ETERNEL RECOMMENCEMENT...
J'ai pris le départ à 10h avec la ferme intention de faire mon marché de Boudouaou...
Bacha ayant fait défection, j'ai appelé Madame qui, tout en prenant place dans la voiture continuait à ronchonner: "dayerni roue d'secours anaya... ki ma idjich Bacha t3ayatli..."
Arrivé à Lakhdaria, je suis descendu de voiture et, sous le regard ahuri de madame, je me suis assis en tailleur, levé les bras vers le ciel, prononcé quelques prières puis j'ai pris mon stylo bille bleu et j'en ai usé comme Rahan avec son coutelas...
Le capuchon du stylo m'a indiqué à chaque fois la route des Gorges mais madame qui était descendue elle aussi et qui s'était postée devant moi, les mains sur les hanches, lui faisait à chaque fois une rotation de 45 degré vers le sud ouest pour l’orienter vers Larbaa…
Ce que femme veut, Dieu veut… dit un proverbe amazone… j’ai donc obtempéré à la volonté de Dieu et, j’ai opté (de mon plein gré bien sûr) pour la route de Larbaa où se joue à longueur de semaine une partie de cache-cache entre des commerçants ambulants de fruits et légumes et des gendarmes qui semblent trouver plaisir à les autoriser ou à les chasser des lieux selon l’humeur de leur brigadier…
Il y’avait plein de « Herbin » chargés de toutes sortes de fruits et légumes sur le bord de la route… je rappelle bark que les «Herbin » sont des camionnettes conçues par les chinois pour les petits vendeurs qui ne peuvent s’inscrire au registre de commerce car ils n’ont pas de locaux mais aussi parce que ce qu’ils gagnent ne leur permet pas de payer leurs impôts et les cotisations à la CASNOS, l’assurance auto, la vignette, le train de pneus Taiwan, les carburants hors de prix et conserver de quoi charger les unités d’appel pour dire, le soir, dans l’habitacle de leur voiture, la belle vie qu’ils promettent à leurs dulcinées…
Les Herbin comme leur nom l’indique viennent du verbe « haraba » qui veut dire « fuir »… et ceux qui les possèdent sont tous des fuyards qui fuient l’état et ses gendarmes, la ville et ses tentations, les études et leur absence de perspectives, l’administration et ses tracasseries… qui fuient la chiasse mais qui est trop tenace pour leur lâcher les baskets…
J’ai trouvé auprès de ces « Herbin » de la carotte à 25 Da… des navets à 80… de l’oignon à 60… des fèves vertes à 100… de la pomme de terre à 45… des courgettes à 150 et de la tomate « m’rabba » (de Rebrab) à 170 Da… des cardes à 50… des artichauts à 65, des choux fleurs à 35 et du fenouil à 25 Da… Au rayon fruit, je me suis contenté de succulentes clémentines de fin de saison à la peau éprouvée par le gel, à 85 Da…
Et puis il y'avait du poulet vivant à 200 DA/le kg...
En remplissant mes couffins, pour dire vrai, mes sachets noirs (qui sont toujours là malgré les campagnes récurrentes menées par des ministres sans projets ni programmes ni pouvoir, pour les éradiquer) j’ai vu passer une sorte d’estafette avec un monsieur qui faisait des signes entendus aux jeunes Herbin… en tendant l’oreille, je l’entendis dire : « roddo balkoum… rahoum djayine… khallit’houm fi Belaouadi ! » et je vis les Herbin entamer un grand mouvement d’ensemble pour recharger leur marchandises et emprunter les routes transversales afin de se perdre à l’intérieur des vergers…
Quelques minutes plus tard je vis débouler les véhicules des hommes verts… Un malheur ne venant jamais tout seul, ces véhicules étaient en trio et leurs occupants étaient à l’évidence, animés des plus féroces intentions…
Je pris le large non sans jeter un regard peu amène à madame en lui lançant : « goutlek n’roho el Boudouaou wenti djaybetni l’djedd yemmat Larbaa ! »
Je suis rentré chez moi à 12h30...
3/2/2017
