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vendredi 19 mars 2021

TOUTE REVOLTE S'ETEINT QUAND ELLE SE DONNE UN GUIDE

Une histoire presque vraie... 



Dans mon village, à la campagne, nous n’avons pas attendu la démocratie pour vivre notre hirak… nous l’avons mené du temps où les punaises ne bougeaient pas (el baq ma yezghoudch).

Je vais vous en raconter l’histoire, elle est tout ce qu'il y'a de vrai…
C’était durant les années Boumediène.
En ces temps là notre village était un lieu dit d'une commune qui avait son siège dans un autre village...
Ce statut était très dévalorisant, il date de 1964 quand la commune mixte de Laperrine avait été incluse dans la commune de plein exercice de Thiers...
Le village a alors commencé à péricliter et la population exaspérée et après mûres concertations avait décidé d'un hirak...
A l’époque on ne coupait pas les routes car il n’y passait que l’Hotchkiss de Si Hamid, le 1000 kg de Si El Fassi, le Renault de Moh Sghaïer, la Dauphine de Tahar N’Amar, la 203 camionnette de Hamouda El Hadj et la 2CV de M. Dribine, l'ingénieur des Ponts et Chaussées… et ce n’était pas pour des navettes… ça descendait le matin et ça revenait le soir…
On ne pouvait fermer la mairie pour la simple raison qu’elle était fermée… et puis on était si peu nombreux que Ziani, le chef de brigade pouvait noter tous nos noms et les transmettre à qui de droit car il nous connaissait individuellement…
Ce sont nos vieux qui prirent en charge notre protestation car ces affaires là n’étaient pas confiées aux enfants qui avaient moutons et vaches à garder et bois à ramener…
Nos pères décidèrent après force conciliabules de réclamer leur part d’indépendance en se rassemblant sur la margelle de l’abreuvoir municipal et de requérir la présence du sous-préfet pour lui faire part de leurs doléances…
L’Administration ayant toujours eu des oreilles partout, le sous-préfet fut informé de la manifestation qui se préparait...
A l'époque, les administrateurs n'avaient peut être pas de grands diplômes mais ils avaient du courage et du savoir faire...
Pour éviter au hirak de prendre une ampleur qui n'aurait pas échappé au Conseil de la Révolution, avec ce qu'on sait comme problèmes que cela aurait posés au sous-préfet et à la population, ce dernier informa les instigateurs du hirak qu’il les recevra dans une salle de classe délabrée qu'on continuait à surnommer « l'école de madame Carrillo » en souvenir de la maîtresse d'école qui y enseignait le cours préparatoire du temps pas très lointain de la guerre...
le jour fixé, les hirakistes se réunirent dans la salle de classe pour attendre le sous-préfet...
Ils mirent à profit leur attente et la présence des opportunistes qui avaient pris le hirak en marche, pour s'entendre sur la désignation d'un porte parole qui devait parler en leurs noms et convinrent des carences à exposer...
Le choix se porta sur Chikh Omar El M’Karfass, l'un des plus âgés dans la salle, vieillard iconoclaste qui avait le verbe facile et qui ne manquait pas de courage pour dire les choses comme elles doivent être dites...
Vint alors monsieur le sous-préfet qui fit une brève allocution dans laquelle il rappela à l'assistance que l'autorité était toujours à l'écoute du citoyen et que le citoyen était la seule préoccupation du pouvoir révolutionnaire car il y'a un seul héros: le peuple et que la Révolution a été menée par le peuple et pour le peuple...
Après cette petite allocution vivement applaudie, monsieur le sous-préfet demanda à l'assistance de lui faire part des revendications de leur hirak...
Tous les regards se tournèrent vers Chikh Omar El M’Karfass et on vit même quelques mains faussement discrètes; l'exhorter à se lever...
Et Ammi Omar parla !
Il parla des rues défoncées, de l'eau qui ne coulait plus à la fontaine publique, de la clôture de l'école dont le grillage était défoncé, de l'électricité de 110 Volts dans certains quartiers, de la fermeture inexpliquée de l'antenne de la mairie, du dispensaire qu'on ouvrait 2 jours sur 7, des abus de pouvoir du garde champêtre, de la vache de Said Hamoud qui paissait sur les herbes sauvages de la place publique, du gaz butane qu'on devait aller chercher de Sour el Ghozlane etc...
Quand il termina son réquisitoire, l'assistance le gratifia d'une vive ovation...
Le sous-préfet qui comprit qu'il ne pouvait donner suite à la moindre revendication car Boumediene ne l'avait pas doté d'une bague de Salomon changea de tactique, non sans prendre ostensiblement à témoin le chef de brigade de gendarmerie qui l'avait accompagné...
- Je veux d'abord savoir ch'koun fikoum qui a désigné hadh esseyed comme porte-parole et si vraiment c'est vous qui avez dressé cette liste de revendications que je trouve hautement subversives… et qui ne passeront pas du passage des généreux (mourour el kiram)…
La salle s'ébroua puis on vit se lever Hadj Kronfel Bout'binda qui cria: "Sobhane Allah !... ndirou Omar El M’Karfass pour parler à notre place ???? Il n'est même pas hadj malgré son âge !"
Il fut suivi par Mansour Bousselgoum qui cria: "h'na ma tkellemnach 3la ettrig ouel ma ou khla dar echarr !... Goulna diroulna bit el woudhou 'e fel djama3 ! (nous n'avons jamais parlé de route, d'eau etc...nous avons demandé seulement une salle d'ablutions à la mosquée !)
Au bout d'une dizaine de minutes c'est toute l'assistance qui se leva pour récuser la légitimité de Omar El M’Karfass qui ramassa les pans de son paletot usé et sortit de la salle avec un regard de mépris pour ses co-villageois...
Le sous-préfet fit taire l'assistance enfiévrée en lui faisant un geste d'apaisement de ses deux mains tendues et quand le silence revint dans la salle il dit: "pour cette fois ci, n'dirou belli ma kayen walou, yaatikoum essaha pour votre foi et votre confiance dans votre pouvoir révolutionnaire !... wachnou je vous conseille d'éviter de vous laisser entraîner dans ces aventures qui ne mènent pas loin… Le Pouvoir Révolutionnaire n’a pas besoin que vous lui disiez ce qui vous manque, il le sait… mais il ne peut tout régler en une fois… Soyez patients, votre tour viendra et tout ce que vous réclamez nous vous l' accorderons mais jamais avec le couteau sur notre gorge…
Notre hirak se dispersa alors dans le calme et le Sous-préfet rentra chez lui non sans passer par le vignoble du Comité de Gestion où on le gratifia de deux caisses de bon raisin…
20/2/2019

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